Nous envisagions ce voyage comme un mouvement vers nous, vers nous et les autres, et vers les autres. On ne s’était pas forcément préparé à un sens en particulier, si tant est qu’il puisse y en avoir un dans un voyage comme le nôtre.
Les 4 premiers mois du voyage ont été surtout, sans que nous en ayons vraiment conscience, un mouvement vers nous: Bali, la Thaïlande, Le Japon et le Vietnam nous ont amené chacun à sa manière à ce mouvement introspectif afin de nous aider à déposer les gros sacs de notre histoire qui nous pesaient dans notre existence.
Ce 5ème mois (déjà) a initié un mouvement vers nous et les autres, et sur une semaine en particulier, vers les autres avant tout. Et nous a révélé beaucoup de choses.

Le Cambodge nous a réconcilié avec l’Asie. Dès notre arrivée à Siem Reap, le douanier plein d’humour dans sa manière de tamponner nos passeports et de nous les tendre, s’est fendu d’un beau sourire franc.
Puis le chauffeur de Tuktuk qui nous attendait pour nous amener à notre hotel, nous a chaleureusement accueilli, plein d’entrain et de bonne volonté à faire rentrer nos 3 sacs et le fauteuil roulant sur son tuktuk.
L’accueil à l’hôtel a été incroyable de gentillesse et de générosité, les deux employés de la réception se faisant un point d’honneur à porter Lou-Ann et son fauteuil.
Ces premières minutes au Cambodge nous faisaient un bien fou après les derniers déboires du Vietnam et nous apportaient le réconfort dont nous manquions depuis plus de 3 semaines. Des semaines qui nous avaient durement impactées.
Des sourires généreux à profusion posaient les fondations de notre mois au Cambodge. Un mois de rencontres, de moments humains forts qui nous ont bouleversé !
Dès le lendemain, nous avons pris le bus pour Battambang dans l’Ouest du pays, ayant réservé 4 jours dans une habitation khmère traditionnelle au sein d’une famille franco-khmère.

Battambang, c’est 3H de bus en temps normal, mais comme souvent au Cambodge, les heures se rallongent parfois, et elles sont devenues 5 car la route était défoncée et en partie en travaux.
Cela nous a donné l’opportunité de rencontrer un couple de voyageurs franco-suédois avec qui nous avons de suite accroché et qui ont émis le souhait de se revoir à Battambang pour mieux nous connaître, touchés par notre énergie et notre histoire.
Nous avons donc séjourné 4 jours chez Sam et Anelyse et leurs 2 filles, avec qui nous avons bien accrochés. Sam est guide officiel, franco-khmer et Anelyse française. Sam a connu les persécutions des khmers rouges et a quitté avec sa famille le Cambodge à l’âge de 4 ans pour se réfugier en Thaïlande après un voyage particulièrement éprouvant, puis en France où il sera réfugié politique. Lui et sa famille se sont installés en France, où il restera jusqu’à l’âge de 30 ans, pour revenir s’installer sur ses terres natales avec sa femme il y a 12 ans.

Cela nous a permis de bien connaître en profondeur le pays, les environs de Battambang et nous imprégner de la profonde résilience qu’il a fallu à ce peuple pour démarrer après les persécutions et les violences atroces des khmers rouges. Des bourreaux qui auront commis un génocide ignoble au nom d’une idéologie incompréhensible et qui auront décimé 70% des intellectuels du pays.
Ce séjour chez Sam nous aura permis de visiter la région de Battambang en dehors des sentiers battus, et de vivre des moments et des rencontres avec les villageois juste incroyables.




Les cambodgiens sont chaleureux et très souriants, d’un contact facile, nous ouvrant facilement leur porte. Et avec Sam, nous n’avions plus de barrière linguistique, ce qui s’est avérée d’une infinie richesse.
La présence de Lou-Ann est aussi un fabuleux passeport car les cambodgiens sont curieux et un fauteuil roulant + une blondinette attisent au plus haut point cette curiosité. Quand on rajoute son appareil photo et son sourire, là, c’est carrément la folie !
On a ainsi vécu des moments magnifiques de complicité, où les enfants se faisaient prendre en photo par Lou-Ann, qui leur montrait non sans fierté ses clichés, déclenchant des fous rires. Ces rencontres au gré du hasard et de nos balades donnent au voyage le sens que l’on souhaitait: rencontrer l’autre, même de manière éphémère, s’imprégner de sa culture, de son histoire, de son environnement et réciproquement.

Nous avons pu assister aussi à une représentation extraordinaire de l’Ecole de Cirque du Phare Ponleu Selpak, en khmère La Lumière des Arts. Une Ecole des arts visuels et des arts de la scène destinée à offrir une formation de qualité aux jeunes de la région pour les aider à sortir de la pauvreté. L’Ecole des Arts de la Scène est devenue une formation de grande qualité dont les artistes se produisent dans des cirques nationaux ou internationaux, comme le Cirque du Soleil.
C’est un moment délicieux, on en a pris plein les yeux et Lou-Ann a absolument adoré, concluant la représentation par « Maman, Papa, c’est ça que je veux faire après ». À bon entendeur 😊 !



Nous avons beaucoup échangé avec Sam et Anelyse sur le Cambodge, son histoire et la vie actuelle des habitants, et leur manière de se relever après le génocide des khmers rouges et la longue occupation des vietnamiens ayant laissé le peuple cambodgien exsangue.
Le Cambodge est un pays encore pauvre et les richesses, conséquences de son fort développement ces 20 dernières années, ont tendance à s’accumuler entre les mêmes mains et à creuser encore davantage les inégalités entre une faible minorité de riches et de familles aisées, et une grosse majorité de cambodgiens pauvres, voire très pauvres (1 à 4 $ par famille par jour).
Un phénomène identique dans la plupart des pays au monde mais qui ici, est encore plus visible, vu les conditions de vie très dures d’une large partie de la population.
Le peuple cambodgien est souriant, très souriant et nous n’aurons jamais eu autant de sourires que durant ce mois.

Heureux de ce séjour, nous avons repris la route pour Siem Reap pour terminer l’année par la visite des Temples d’Angkor.
Et commencer 2020 par le lever du soleil à Angkor Wat, majestueux temple d’Angkor, où nous avons démarré tous les 3 l’année main dans la main, Lou-Ann sur le dos de Magali, comme un symbole. Cela a été un moment merveilleux, magique et de toute beauté.
Ces lieux que nous avons visité chacun notre tour les jours suivants, car très difficile avec Lou-Ann et épuisants physiquement, dégagent une énergie particulière et sont magnifiques, une preuve du génie humain pour amener ici tous ces rochers, pierres et construire des temples d’une grande beauté.




Siem reap nous a aussi donné l’opportunité de rencontrer une famille belge avec laquelle nous avons passé d’excellents moments, Lou-Ann ayant beaucoup de plaisir à jouer avec les 3 filles.

Nous avons ensuite pris la direction du sud pour Kampong Cham où nous avons passé plusieurs jours à OBT.
Quelques jours hors du temps, dans un petit village au bord du Mékong, où cette ONG locale a créé un lieu d’accueil génial et très simple en harmonie avec la nature, au milieu du village, offrant ainsi l’opportunité d’interactions avec les villageois, tous ou presque paysans, plutôt pauvres ou modestes. Tous les revenus des chambres et du resto vont à l’ONG et ont permis la création d’une école de qualité et gratuite pour les enfants du village. C’était un moment exceptionnel car très reposant avec un rythme calé sur le soleil et la vie des paysans (donc réveil très tôt 😀), très riche humainement et dans un logement très minimaliste et mignon où le minimum de confort rend l’expérience très enrichissante: une simple chambre en bambou totalement ouvert aux éléments naturels (vent, odeur, bruits) entre Mékong, vaches, poules et village khmer. Totalement inaccessible pour Lou-Ann bien sûr, et complexe même, donc très rude physiquement pour nous, mais on a souhaité vivre cela malgré tout. Loulou a adoré et nous aussi ! Cela a été l’occasion de passer 1 journée supplémentaire avec la famille belge en tour du monde rencontrée à Siem Reap avec laquelle on passe de super moments et qui ont 3 filles adorables et attentionnées avec lesquelles Lou-Ann joue beaucoup ! Entendre les rires de joie de Loulou est un beau cadeau !


On a pu aussi partager le repas d’une famille de villageois qui a été un très bon moment humain grâce à la présence des enfants très spontanés et drôles ! Ainsi qu’un apéro autour d’un feu de camp au bord du Mékong avec des bénévoles français et américains présents pour aider l’ONG quelques mois (cours d’anglais, association de recyclage de plastiques en pétrole …)


Quelques jours dans la simplicité et la sobriété où le lien à la nature et à l’autre prime sur tout; on était juste incroyablement bien ! Des moments de voyage comme on aime, précieux, qui nous rendent heureux et pour lesquels notre argent va à des causes où des associations qui ont du sens !
Ce voyage prend ici tout son sens, dans le mouvement que nous souhaitions, vers nous et vers les autres !!!






Nous avons ensuite pris la direction de Phnom Penh, et plus spécifiquement de PSE, Pour Un Sourire d’Enfant, semaine qui allait nous bouleverser comme jamais nous ne l’avions imaginé.
Nous étions visiteurs et modestement volontaires à PSE. Tout d’abord nous vous invitons à voir le film documentaire Les Pépites qui nous avait beaucoup, beaucoup touché avec Magali.

Mais la réalité dépasse largement la fiction. Ce que ce couple de jeunes retraités français a créé ici en 1995 est une ONG incroyable destinée à sortir de la grande misère des enfants travaillant dans les décharges pour leur donner au départ un repas par jour, puis une éducation scolaire, puis une formation et un métier. Ils ont créé ce qui est devenu aujourd’hui une école, un collège, un lycée, un internat, un foyer pour enfants handicapés, un centre de formations de très grande qualité reconnu au Cambodge. Ils ont créé et donné une formation et un métier à 4500 jeunes et aujourd’hui c’est un campus de 6000 jeunes de 3 à 22 ans tous issus de familles les plus pauvres parmi les plus pauvres (1,50$ à 3,80$ de revenu par jour par famille) avec le lot de malnutrition, d’abandons, maltraitance, grande violence…


Durant toute cette semaine, le curseur émotionnel était dans le rouge et nous sentions que quelque chose se passait en nous, en chacun de nous trois.
C’est un bouleversement total, ce sont des moments d’une infinie richesse, des rencontres absolument incroyables tant avec les enfants que les adultes qui s’investissent quotidiennement et avec lesquels nous avons beaucoup échangé…
On a vécu des moments très très très forts avec des enfants de 3 à 6 ans bouleversants, si jeunes et déjà tous très marqués, Les Paillottes. Leur douceur, leur sourire mélangé une grande tristesse touchante et leur besoin d’affection nous a profondément marqué.

Nous sommes allés à 3 reprises les rencontrer et passer du temps avec eux. Les voir nous sauter dans les bras, vouloir jouer avec nous, les voir alignés attendant leur tour d’être jeté en l’air avec ce sentiment de première fois que je ressentais pour un grand nombre d’entre eux, m’a ému et épuisé. Épuisé physiquement 😊😍, et galvanisé émotionnellement. Ce grand écart m’a perturbé et a éveillé en moi la nécessité de répondre à mon besoin absolu de justice, à mon souhait de donner de la tendresse, en ayant tellement à donner.
Ces enfants ont redonné le sourire à Magali, des sourires de joie et de bonheur que je ne lui avais pas vu depuis longtemps. J’ai ressenti un sursaut chez elle et cela m’a apaisé car les dernières semaines ont été particulièrement inquiétantes.




Ces enfants ont d’abord perturbé Lou-Ann, peu habituée à autant de sollicitations autour d’elle, puis l’ont mis en joie.
Voir mes deux blondes ainsi m’a rendu vraiment heureux.
Le dernier jour, pour l’anniversaire de Magali, j’ai organisé une surprise en commandant un gâteau et des viennoiseries à l’Ecole de Pâtisserie de PSE pour 80 enfants et nous sommes allés le partager avec tous ces enfants.
C’était le feu d’artifice final de cette semaine. Avec leur enseignante ils lui ont chanté en Cœur Happy Birthday. Ils ont attendu patiemment que chacun ait sa part et ont savouré dans un silence religieux leur part chocolatée, léchant leur assiette pour ne rien laisser. Puis ils sont allés la nettoyer tout aussi tranquillement. L’émotion était forte pour Magali, très forte, comme pour moi. Je me délectais du sourire retrouvé de Magali et cela me rendait heureux.

L’équipe si pudique, si réservée nous a remercié chaleureusement. C’est nous qui vous remercions, vous nous avez tant apporté !
Lou-Ann a participé à des activités extra scolaires et vécu des moments uniques avec des enfants de 7/11 ans, qui ont spontanément beaucoup joué avec elle, et qui ont manifesté des réactions spontanées de bienveillance. Ainsi par exemple, lors d’une activité créative nécessitant de la motricité fine que Lou-Ann n’a pas, et s’apercevant des difficultés de Lou-Ann, deux petites filles, pourtant plutôt très agitées, ont pris les doigts de Lou-Ann pour la guider et réaliser avec elle cette activité exigeante.
Une autre fois, lors d ‘une partie de jeu Dobble, nécessitant des temps de réaction très rapides, et voyant la tristesse de Lou-Ann qui ne pouvait pas s’adapter au rythme et donc gagner, ils se sont concertés et ont ralenti le rythme pour la laisser gagner quelques parties.
Si jeunes, si marqués par la vie, et autant d’altruisme, de bienveillance nous a beaucoup touché.



On a donné un cours de français et j’ai personnellement totalement adoré … J’ai été surpris de la volonté d’apprendre et la motivation de certains jeunes pour ce qui est une simple option. Un vrai délice !
Et on n’a jamais reçu autant de sourires que depuis une semaine … des sourires à la vie qui donnent envie de se dépasser et qui ont bousculé nos vies pour toujours, quelle que soit la forme que cela prendra.
Nous vous invitons vraiment à voir ce film Les Pépites, il y a peu de chances que vous en sortiez indemne et à les rencontrer en France et Suisse lors de la prochaine tournée de levée de fonds et de sensibilisation de « Mamie » et son équipe (en mars avril mai), la fondatrice avec qui nous avons dîné à deux reprises (www.pse.ong) …
Nous avions le sentiment d’être à notre juste place, d’être modestement utile sur ce temps de présence court, avec la conviction de pouvoir faire davantage.

Nous avons rencontré des personnes extraordinaires durant cette semaine, par leur implication et leur dévouement, des rencontres qui donnent foi en l’Homme. Des personnes comme Christine et Patrick qui viennent faire du bénévolat de compétences à PSE depuis 20 ans, les jeunes volontaires, Samuel le directeur de la communication, clé de voûte de la pérennité de l’école, Olivier qui vient former les professeurs et les étudiants, Jean aussi, tant d’autres encore et bien entendu « Mamie », la fondatrice avec son mari « Papy » décédé en 2016, toujours très impliquée dans le développement de PSE.

On est tellement heureux d’avoir vécu cette expérience exceptionnelle qui, pour le coup, s’inscrit totalement dans le mouvement de notre voyage: « vers les autres »!
Nous avons prolongé de 2 jours notre séjour dans la capitale cambodgienne pour avoir le temps pour Franck de consulter un ostéopathe français et de visiter le fameux Musée du Génocide Khmer, ou Camp S21, une prison créée dans un lycée par les Khmers rouges et qui est devenu tristement célèbre car des dizaines de milliers de personnes ont été torturées ici et plus de 18 000 ont trouvé la mort dans des conditions atroces, ennemis ou prétendus ennemis du régime de Pol Pot.
Cette visite pour comprendre un peu l’histoire du Cambodge s’est avérée très lourde, difficile à supporter. L’ambiance était pesante, les images et les peintures très violentes, et les récits particulièrement puissants pour témoigner de la folie des méthodes de torture employées.
Nous avons ensuite pris la direction du Nord du Cambodge, où 10 heures de bus nous ont mené à la frontière avec le Laos, notre prochaine destination.
Le Cambodge nous a bouleversé. Profondément !
Tous ces sourires généreux qui se sont offerts à nous ont été d’une grande richesse et nous ont touché. Des sourires généreux et francs, parfois espiègles mais toujours empreints d’une grande bienveillance. Des sourires comme un défi à la vie dure pour beaucoup d’entre eux.
Les plus marquants auront été les sourires de ces enfants de PSE.



Et comment allons nous ?
Toutes ces rencontres qui ont jalonné notre parcours ont été un moyen de nous réconcilier avec notre propre histoire, pour mieux l’accepter. Et ce afin de poser un regard différent sur notre existence, sur le handicap de Lou-Ann.
Quand vous passez un mois à rencontrer des gens qui vous sourient, forcément, vous souriez et cette énergie irradie tout votre corps, vos actes quotidiens et vous permet de changer de perspective, de poser un regard différent sur votre existence, sur vos maux, vos problèmes, vos zones d’ombre.
Ils ne se résolvent pas pour autant, mais cela s’avère très utile au quotidien et nous aide à porter un regard plus optimiste sur notre vie, sur la vie de Lou-Ann, sa maladie et son handicap.
Franck: on a vécu ces sourires chacun différemment, mais pour moi, je sens que quelque chose s’est brisé en moi pour le mieux, la carapace que je m’étais forgé pour me protéger des souffrances vécues pendant mon enfance, s’est bien fissurée et a permis à la lumière de pénétrer mes zones d’ombre.

Du coup, je sens que des choses changent en moi: je me sens plus apaisé et moins anxieux. Dit comme ça, cela peut sembler peu, mais pour moi, c’est un pas énorme, c’est un bouleversement profond qui change beaucoup mes repères … en mieux. En mieux pour moi !
L’avenir, celui de Lou-Ann, est moins anxiogène. Je sais que nous avons les ressources pour l’accompagner, qu’une solution existe quelque part pour elle à notre retour, un retour qui sera différent.
Le regard que je pose sur ma fille est de plus en plus celui de l’acceptation. C’est un chemin que j’avais déjà entrepris sur les routes tortueuses du Vietnam, mais que je ressens plus posé, plus doux et apaisé. Le chemin qui me reste à parcourir pour accepter son handicap est encore très long et une vie ne suffira peut être pas pour y parvenir, l’équilibre à trouver entre l’acceptation et l’engagement quotidien exigé par le combat contre les conséquences de la maladie de Lou-Ann étant très fin. Pour autant, je sais que c’est le bon chemin et mon horizon s’éclaircit. Je souffre mais moins, je ne l’accepte pas complètement mais un peu plus, j’ai toujours peur pour son avenir, pour la suite, mais je suis plus optimiste, plus confiant, avec cet Amour pour elle qui ne cesse de grandir. Un Amour plus apaisé, plus posé. Le chiot que j’étais dans ce sentiment d’Amour pour ma fille mue vers un jeune chien encore fougueux et indiscipliné, mais qui gagne en maturité.
C’est un chemin tortueux, semé d’embûches, mais que je sais être le bon et qui a été rendu possible par ces sourires qui ont jalonné notre voyage depuis un mois, notamment les sourires de ces enfants PSE. Ils sont une leçon d’humilité pour moi, pour nous, une très grande leçon d’humilité, source d’apprentissages.

Magali: le Vietnam a fait voler en éclats la carapace de Magali, cette carapace qu’elle a érigé entre elle et le monde, cette carapace qui l’empêche d’être elle même, qui met une distance avec ses sentiments , ses émotions, ses ressentis et le monde qui l’entoure.
Les sourires du Cambodge ont apporté une lumière sur ces fissures, l’amenant à prendre conscience que sa vie était installée sur tout un tas de faux semblants, de non dits qui l’avaient éloigné d’elle même.
Et quand la lumière fût projetée, son monde s’est écroulé, la propulsant encore plus profondément dans une grande tristesse, une profonde déprime qui l’a complètement fait perdre pied et qui a mis le doute à un moment donné sur la poursuite de ce voyage. Son état m’inquiétait, elle n’était plus elle même, et des incidents la mettant en danger, elle comme Lou-Ann, m’ont réellement apeuré. Sans compter que la voir pleurer aussi souvent m’atteignait beaucoup, ainsi que Lou-Ann.
Cette période difficile lui a permis de prendre conscience de la force qu’elle pouvait avoir en elle, et qu’elle mettait à distance en permanence. Peut être même une très grande force dont elle se sert à bon escient pour rester debout dans les moments de grande tempête, mais bizarrement qu’elle ne préfère pas trop voir. Mais une force qui lui a permis de rester debout quand la maladie de Lou-Ann et son handicap ont émergé, qui lui a permis de trouver les mots justes pour éviter la rupture entre nous dans les périodes difficiles que nous avons connues. Une force qui pourrait l’amener, si elle l’acceptait pleinement, à des changements radicaux dans son existence, pour enfin être elle même.
La gentillesse, la bienveillance des cambodgiens et leur sourire généreux ont commencé à façonner sa mue en mettant la lumière sur ses zones d’ombre et ses paradoxes si nombreux. Une mue qui s’est accélérée durant ces 8 jours à PSE où les sourires de ces enfants malmenés par la vie, leur grand besoin de tendresse ont réveillé en elle son si beau sourire qu’elle a perdu depuis trop longtemps. Car c’est de ce sourire dont je suis tombé amoureux en 2002, ce sourire doux et ses magnifiques yeux bleus pétillants qui ont dévié la trajectoire de ma vie. Un sourire qui s’est progressivement éteint avec la maladie de Lou-Ann et qui a mis un terme à ses rêves, à nos rêves d’une famille nombreuse.

Alors la voir si souriante, si heureuse avec tous ces sourires tendres autour d’elle, m’a ému et permis de croire que je pourrais retrouver ses jolies fossettes qui se sont envolées dans la tempête de Gillespie.
Tous ces sourires ont remis de la vie en elle, ont donné du sens à ce voyage et nous ont permis de caresser l’espoir que nous avions quelque chose de beau à réaliser sur cette terre, que nous pourrions nous aussi modestement contribuer à améliorer ce monde.
Et Lou-Ann ? Lou-Ann a développé au Cambodge le plein potentiel de son sourire; parce que Lou-Ann sourit à la vie quoi qu’il arrive, et son sourire est un passeport qui provoque beaucoup de belles rencontres depuis 5 mois, plus largement depuis 12 ans, et même depuis 12 ans et 9 mois, depuis l’annonce de son arrivée parmi nous qui nous a remplit de bonheur et permis de vivre les plus beaux mois de nos vies individuelles et de notre vie de couple.

Alors quand elle reçoit des sourires à profusion et se sent observée avec bienveillance, Lou-Ann rayonne. Cela n’enlève rien à ses difficultés physiques et cognitives, qui ont pris encore davantage de place ces deux derniers mois. Elle grandit, ses repères corporels changent et ses troubles se sont aggravés: tremblements, motricité fine, équilibre et tonus musculaire, perte de certains acquis physiologiques repris, puis reperdus, puis repris, puis perdus à nouveau, tendance croissante à se refermer sur ses acquis et à faire toujours la même chose dans le même ordre, aux mêmes lieux, aux mêmes moments de la journée … Les montagnes russes en permanence qui nous font craquer parfois ! Rien n’est jamais acquis avec Lou-Ann et c’est très lourd à vivre. Les stages de rééducation intensifs qu’elle reprendra dès notre retour, devraient la remettre sur rails et retrouver ses repères corporels. On ne lâche rien, c’est un combat quotidien pour l’accompagner vers le maximum d’autonomie, tout en acceptant que ce soit comme ça. Le fameux équilibre si difficile à trouver évoqué plus haut pour conserver un état émotionnel stable.


Elle doit s’adapter à ces changements et cela lui demande beaucoup d’énergie, et à nous aussi pour suppléer à ses incapacités pour tous les actes de la vie quotidienne. C’est très dur pour nous, physiquement et psychologiquement (c’est ce qui a contribué à précipiter la chute de Magali), mais c’est aussi très dur pour elle car elle perd le peu d’autonomie qu’elle a, elle est prisonnière de son corps, de son fauteuil, et le seul moment où elle se sent libre, c’est en piscine. Alors sa seule exigence dans les hôtels et guesthouse que nous choisissons, c’est l’existence d’une piscine 😊. (Et ce qu’on va manger ce midi et ce soir 😊). Ce qui est plutôt facile en Asie du Sud Est. Son corps est libre dans l’eau, elle s’y sent à l’aise et en sécurité, et elle est soulagée d’avoir un petit peu d’autonomie.
À force d’efforts et d’investissements de Magali, le mûr des apprentissages se fissurent un tout petit peu, c’est infime mais c’est déjà une première victoire. C’est plutôt le mur de la confiance qu’elle a érigé en béton armé pour se protéger, conséquence des agressions d’un système éducatif discriminant et tellement violent qui l’ont obligé à se protéger pour ne pas sombrer. La force et la sagesse d’une enfant si jeune me laisse interrogatif et admiratif de ma fille.
Magali, à force de patience, aura fissuré la carapace de Lou-Ann et permis de commencer à comprendre une petite notion de mathématiques et surtout de reprendre un tout petit peu confiance en elle.
Cela dit, Lou-Ann profite de son voyage à fond, elle s’épanouit, elle progresse bien en anglais et est très en demande de traductions de mots qu’elle utilise couramment, elle est beaucoup plus à l’aise que le mois dernier au Vietnam et a vécu cette immersion à PSE avec beaucoup de plaisir. D’abord crispée et oppressée par tant de sollicitations d’enfants, elle a pris confiance rapidement. Les attentions touchantes de certains enfants et adolescents l’ont définitivement mis à l’aise et permis de trouver son propre rythme et sa juste place. Cumulé à la bienveillance des adultes, elle nous a surpris par son attitude, les conversations et les positions qu’elle prenait.

Ce voyage nous permet de nous rapprocher un peu plus chaque jour de qui nous sommes, de nos valeurs profondes et du sens que nous aimerions donner à nos existences.
On est toujours conscient de cette chance, encore davantage même, et de notre liberté à voyager ainsi, et chaque matin, je me dis que j’ai de la chance de vivre ce voyage et de découvrir tant de beauté, tant de personnes, de lieux, de cultures. C’est tellement riche !
Car nous considérons le voyage comme un moyen de grandir et de mieux s’inscrire dans le monde.

Une fois n’est pas coutume, je laisserai le mot de la fin à Stéphane; c’est une personne que je connais peu, plutôt dans un cadre professionnel, mais la manière dont nous nous livrons en mots chaque mois sur ce blog, lui a permis de se manifester différemment à mon égard et de se confier à moi dans un cadre bien différent. C’est aussi cela la magie des voyages, faire tomber le masque social et changer les regards et les relations que nous avions avec les personnes qui nous entouraient dans nos quotidiens, sortir du cadre, oser être soi et développer de nouvelles relations plus sincères.
« Un tour du monde est un rite initiatique, On est face a ses peurs (c’est bien pour cela que peu de personnes font le pas).
Pendant un tour du monde, on pense que tout va lentement mais pas du tout, au contraire. Chaque jour apporte des émotions différentes, des rencontres, des peurs, des joies. Il n’y a qu’a se balader dans les ruelles et c’est parti !
Ce qui te semble difficile te paraitra beaucoup plus simple et ce qui était un problème ne le sera plus.
Quand vous reviendrez vous verrez à quel point les émotions quotidiennes se ralentissent et n’ont plus du tout la même saveur.
Tu peux avoir confiance en l’avenir, tu es en train de faire le plus dur ».

