Good morning Vietnam …
On ne va pas y aller par 4 chemins, le Vietnam ne nous a pas séduit, je dirais même qu’il nous a carrément déplu à bien des égards et que nous ne nous sommes pas bien sentis ici. Nous avons le sentiment que notre voyage a basculé le 1er décembre, comme si nous étions sous l’emprise d’une divinité dont l’objectif était de nous gâcher le plaisir d’être ici, ou de nous apprendre quelque chose sur nous.
Après le Japon, l’écart est saisissant mais il ne n’agit pas que de cela.
Au moment du départ, le premier contact avec le Vietnam a été avec la compagnie vietnamienne qui a exigé que nous signions une décharge avant d’embarquer. Une décharge pour quoi, vous demandez vous ? En avez vous déjà signé une avant d’embarquer dans un avion ? Certainement que non; Mais nous oui, parce que nous voyageons avec une enfant handicapée.
Une décharge en deux temps: le premier, c’est que si l’état de santé de Lou-Ann s’aggrave pendant le vol, la compagnie se décharge de toute responsabilité. La deuxième, c’est que si l’avion fait un atterrissage forcé nécessitant une évacuation d’urgence et que si Lou-Ann doit être laissée à l’intérieur de l’appareil (pourquoi d’ailleurs ?), la compagnie n’est pas responsable de sa mort.
Bien glauque ! On était sidéré !
Nous étions loin de nous douter que le ton était donné pour les semaines suivantes.
Nous avons commencé notre périple par Hanoï, que nous n’avons pas aimé: très polluée, excessivement bruyante, dangereuse car les trottoirs quand ils sont praticables, sont totalement squattés par les scooters et motos et qu’il est impossible d’y avoir accès. Du coup nous sommes contraints de circuler sur la route et la prudence ainsi que le flegme des vietnamiens en scooter ne sont pas leur qualité première. Toute balade devient un combat d’où la chance de sortir vainqueur en cas de choc est quasi nulle.

Sur le plan culturel, il n’y a à peu près rien à voir et même les musées d’Histoire ou sur les guerres sont des outils de propagande des gentils communistes vietnamiens. Il est vrai que ce peuple a subit les assauts répétés de la Chine, la violente colonisation française puis la terrible guerre du Vietnam, et enfin les khmers. Après tout cela, on comprend un peu l’état d’esprit de ces musées.

Hanoï nous a permis de découvrir la cuisine vietnamienne, et particulièrement les soupes Pho de Mamie Pho ainsi que les Banh Mi de Banh Mi 25 qui ont été des moments culinaires formidables mais aussi des moments de sérénité et de rencontres agréables. Comme quoi les choses les plus simples sont les plus marquantes. Mamie Pho, c’est de la « street food » améliorée, des soupes chaudes à base de nouilles et d’herbes aromatiques qui étaient absolument délicieuses et parfumées.
Le Banh Mi est un sandwich dans du pain type baguette, avec du poulet, des herbes et une préparation de nouilles et légumes finement tranchés cuits. Et ceux de Banh Mi 25 que nous prenions sur des tables basses à même le trottoir sont vraiment savoureux.

Nous avons ensuite décidé de partir vers une région réputée pour être authentique, les montagnes au Nord Vietnam.

Cela nous a valu un premier moment pénible où voulant réserver des places dans un bus pour nous rendre à Sapa, l’agent a tenté de nous surtaxer de 10$ supplémentaire pour le fauteuil roulant de Lou-Ann. Pour une place à 12$, c’est de l’escroquerie et de toute façon, sur le principe, il en était hors de question. Les foudres de Magali ont eu raison de cette déplorable politique spéciale handicap.
Sapa est une ville de montagne (1500 m) au Nord du Vietnam, à 5H de route d’Hanoï. Sapa est une petite ville particulièrement moche. Dis comme ça, peut paraître brut mais c’est la réalité: on a l’impression que cette ville est un immense chantier en construction après des années de bombardements, sans aucune qualité esthétique, et de manière plutôt anarchique.
Les environs, dès qu’on s’éloigne, sont en revanche très beaux offrant des paysages de rizières et de montagnes uniques, et la lumière de fin de journée est superbe.

Malheureusement tout est orchestré pour le tourisme canalisé de masse, les agences s’alignent les unes à côté des autres avec des prix délirants pour passer la nuit chez une famille d’une ethnie des montagnes. Il est illégal de faire autrement. On se demande malheureusement ce que les familles touchent réellement et au vu des informations glanées, nos craintes semblent justifiées et les retours d’expérience sont plutôt « neutres » ou pour ceux qui se posent quelques questions, sont plutôt décevants.

Nous n’avons pas pu l’expérimenter nous mêmes, les villages n’étant pas accessibles en fauteuil roulant même sur de simples chemins. Ce sont plutôt des petits chemins très escarpés.

Nous avons ensuite pris la direction de Bac Ha plus éloignée encore dans les montagnes du Nord Vietnam, à 3H de route de Sapa.
Bac Ha est surtout connu pour son marché du dimanche matin, où tous les habitants des ethnies des villages de montagne habillés en costume traditionnel coloré, se retrouvent pour acheter et vendre buffles, cochons, poules, vêtements, chaussures, se rencontrer et discuter.

Un concentré d’animation colorée, bruyante mais plutôt agréable car authentique et vivante. Cela n’a pas été un grand coup de coeur car les locaux sont d’une froideur glaçante et l’ambiance n’est pas propice aux rencontres et aux échanges. Les seuls mots entendus ayant été entendus étant « pay, buy something », pouvant être interprété comme « paie, achète quelque chose, tu as de l’argent, toi », sans autre forme d’amabilité pouvant t’inciter à acheter un petit souvenir.

Des bus entiers de touristes débarquent vers 10H, et on comprend mieux la froideur des habitants, conséquence des « rencontres » de chaque dimanche matin. Les touristes sont sans gêne, les photographient de manière répétée et agressive comme des bêtes de foire, se postant à 50 cms de leur visage. On comprend aisément qu’ils soient devenus froids.
D’ailleurs, moi qui demande toujours l’autorisation de photographier une personne, afin de respecter sa liberté et tenter de créer un lien pour un plus beau portrait « serré », je n’ai jamais essuyé autant de refus.


Nous avons souhaité dormir et dîner dans une guesthouse chez l’habitant pour vivre une expérience plus authentique et favoriser la magie de la rencontre. Le lieu était superbe, au milieu des rizières, mais le propriétaire a été froid, peu ou pas accueillant, nous mettant même mal à l’aise parfois par sa froideur. Il s’est un peu ouvert après son 5e verre d’alcool de riz, mais ses propos étaient moins cohérents.
Les 2 nuits ont été rudes puisqu’un détail avait fait l’objet d’un petit mensonge: la maison n’était pas chauffée, encore moins isolée, et avec -5 la nuit, la température n’était guère plus élevée dans la chambre. Un feu de cheminée aurait pu chauffer un peu la maison, mais encore une fois, ce niveau de convivialité n’était pas prévu. Cela fait parti des expériences du voyage que l’on trouve drôles quelques semaines après, et qui font le charme des vacances. C’était une expérience !!!
Ce séjour s’est mal terminé puisque le voyage de retour prévu par notre charmant hôte, s’est avéré un plan foireux, et qui a failli mal se terminer puisque cela ressemblait plutôt à un guet apens avec une pseudo compagnie de bus qui n’en était pas vraiment une.
On est retombé sur nos pattes mais là encore, même avec une compagnie officielle, il a fallu se battre pour que le fauteuil de Lou-Ann soit bien installé correctement en soute, voire même installé tout court car les bus pensent d’abord à remplir leur soute de marchandises divers pour les copains, ce qui permet de prendre quelques billets au passage, et se foutent royalement des bagages des clients transportés. Alors un fauteuil roulant, on nous a fait bien comprendre que cela les faisait suer. On vous passe les manières directives de nous parler, les hurlements, les ordres des employés de la compagnie rendant l’expérience vraiment désagréable.
De retour à Hanoï du coup pour une nuit, nous sommes retournés se réchauffer le ventre et le coeur chez Mamie Pho et Banh Mi 25, avant de prendre la direction de Tam Coc, la Baie d’Halong terrestre le lendemain.

Pour notre plus grand plaisir, nous avons trouvé à Tam Coc la sérénité tant recherchée depuis notre arrivée au Vietnam.
C’est une petite ville, plus un village qu’une ville, à l’entrée de la Baie d’Halong terrestre, qui, même si elle est touristique, attire une population différente, tout du moins pour ceux qui restent dormir sur place. Et enfin, on a eu le sentiment de retrouver des habitants souriants, agréables, chaleureux. Car depuis notre arrivée au Vietnam, les mauvaises rencontres se sont accumulées, rendant ce voyage vraiment désagréable.
On a trouvé une chouette chambre d’hôtes simple mais pour une fois accessible au fauteuil de Lou-Ann, une structure familiale où la propriétaire parle très bien français, ce qui nous a permis des échanges plus approfondis.

La Baie d’Halong terrestre peut se faire en partie à pied, au milieu des rizières et des pitons calcaires, sur des chemins aménagés, ou en barque conduite par des femmes avec leurs pieds.
Nous avons eu la chance de partager cette heure et demi avec Tien, une femme âgée de 61 ans, maman de 4 enfants et grand mère de 3 petits enfants.

Ces femmes passent près de 10H par jour à ramer et on sentait bien la fatigue pour son dernier tour de la journée avec nous. Pour un salaire dérisoire, la grosse majorité de la somme payée par les touristes revenant à la concession.
Elle nous a offert un beau moment et de jolis sourires dans ce lieu paisible surtout en fin de journée quand les touristes des agences à la journée sont déjà repartis ! Pour notre plus grand plaisir !
Nous avons ainsi prolongé notre séjour et sommes restés finalement 8 jours sur place, nos journées s’articulant entre « chiller » dans un très beau bar ouvert sur la nature « do it yourself » dans l’esprit des beer garden berlinois, discuter, lire, et beaucoup marcher au milieu de ces paysages invitant à la contemplation par la sérénité qu’ils dégageaient. Nous avons adoré ces journées, et particulièrement ses balades contemplatives qui permettent d’ouvrir mon esprit sur de nouvelles idées et façons de voir la suite, ou nos vies actuelles.





Nous avons pris ensuite la direction du centre du pays pour Hoi An, ville coloniale à 15h de bus qui s’est avéré, malgré le choix d’une compagnie confortable, une expérience très pénible essentiellement due à l’attitude infâme des chauffeurs et leur mépris à notre égard. Après une conduite de nuit à grands coups de frein, de klaxon et de lumière éteinte, lumière allumée en plein visage, ils nous ont réveillé en sursaut à 5H du matin au beau milieu d’une zone industrielle vide pour changer de bus, puis de nouveau sans un seul mot déposer nos bagages sur un trottoir à 1H d’Hoi An pour un autre bus.


On a fini par arriver à destination entier avec nos sacs et le fauteuil roulant. L’essentiel est là. En soi, même si c’est un peu stressant, ce n’est rien de grave; nous sommes entiers, ensemble et ce sera un souvenir dont on rigolera. Mais l’accumulation de cette hostilité permanente finit par nous atteindre et gâcher notre joie d’être dans ce pays en voyage.
Nous sommes restés 9 jours à Hoi An, ressentant le besoin de se poser tant pour Lou-Ann que pour nous, dans cette ville coloniale très jolie, agréable même si l’excessif afflux touristique rend l’expérience moins enthousiasmante.


Nous avons passé les 2 premiers jours dans un hotel où l’ensemble du personnel a été d’une gentillesse infinie, touchante, et se faisant un devoir de porter Lou-Ann jusqu’au premier étage, pour nous soulager. Cela a été notre expérience de l’accueil la meilleure et la plus agréable dans un pays qui s’est avéré la pire expérience humaine. On n’est pas à un paradoxe près.

Les méchants vietnamiens ont donc retrouvé notre trace et Hoi An, à quelques exceptions près, nous a offert une nouvelle fois des expériences et des rencontres au mieux neutres sur le plan humain, au pire carrément désagréables et hostiles très souvent, cumulée à un mépris non dissimulé pour Lou-Ann, ou plutôt son handicap et ce qu’il représente.
Dans ce pays, nous avons rencontré une famille française à Bac Ha en tour de monde également avec qui nous avons bien sympathisé et que nous retrouvions sur des villes en commun sur nos itinéraires. Ce qui nous a permis de passer Noël ensemble, notre dernière nuit au Vietnam que nous quitterons plus tôt que prévu.

J’avoue, en écrivant ces mots ici, ne pas comprendre totalement ce qui s’est passé depuis notre arrivée au Vietnam. Une copine de Magali a eu la gentillesse de nous écrire longuement pour nous expliquer ce qu’elle avait ressentie durant les mois où elle a vécu au Vietnam, ce qui nous a offert une grille de lecture et d’analyses des relations entre les vietnamiens et les touristes, français notamment. (Son texte est en bas de page pour celles et ceux que cela intéresse).
Ce que nous en retenons, et avons vécu nous mêmes, c’est que ce sont des individus très durs, avec une force incroyable de résistance, une capacité à résister dans le temps aux assauts répétés des chinois, des colons français puis des américains et enfin des Khmers rouges. Des années de résistance, de combats, de violence et de guerres ont laissé dans leur ADN une dureté, une obstination à se redresser envers et contre tout, et une capacité de résistance et de résilience exceptionnelle.
Néanmoins, on aurait apprécié que cette dureté s’exprime autrement vis à vis de nous. Et vis à vis de Lou-Ann où nous avons ressenti une dureté très forte et souvent du mépris, une forme de dégoût dans certains regards qui nous a glacé.
Peut être que, comme l’analyse Marianne, est ce du à la violence des mines et bombardements laissant des milliers d’amputés et blessés de guerre qui les ont amené à s’endurcir aussi fortement.
Peut être que cette dureté était aussi amenée à nous faire avancer dans notre propre combat face à la maladie et au handicap, pour s’endurcir nous mêmes face à ce que nous avons vécu depuis 12 ans dans notre propre pays et à ce qui nous attend à notre retour ?
Peut être que cette dureté était là pour nous amener à dépasser nos propres souffrances et notre propre histoire.
Mais cette dureté a un sens, c’est certain; elle nous permet d’apprendre quelque chose sur nous. Elle nous a déjà impacté chacun différemment:

– Lou-Ann d’abord: nous l’avons senti beaucoup moins bien durant ce séjour, moins joyeuse et moins épanouie qu’à Bali ou au Japon . Elle qui est toujours si pleine de vie, si souriante, était plus terne, triste et préoccupée. Elle devait probablement ressentir la distance et la dureté des vietnamiens, même sans pouvoir la nommer.

– Magali, ensuite, a du mal à faire face au handicap de Lou-Ann et surtout ses conséquences lourdes dans les apprentissages et le développement physique, lui renvoyant (comme à moi d’ailleurs), une grande frustration, un fort sentiment d’impuissance, des réactions d’impatience et d’intolérance que je ne lui connais pas ou peu, et beaucoup d’inquiétudes, sans compter la fatigue qui s’accumule dans ce pays inadapté au handicap. Ses repères de femme, de mère sautent et c’est une période très difficile pour elle, et pour nous par ricochet.

Et enfin, à mon tour, j’ai été fortement impacté, à la fois pour les mêmes raisons que Magali, mais aussi pour d’autres trop intimes que je n’expliquerai pas davantage, un pan de mon enfance oublié ayant refait surface ici, en écho à ce Vietnam vécu si dur.
Le handicap de ma fille résonne plus durement. Dans un pays au regard si dur sur le handicap, celui-ci nous apparaît sans faux semblant, et je laisse tomber le masque. Non que j’abandonne, ou que je devienne fataliste, ou que je renonce à me battre, mais la réalité nous rattrape, et le poids physique, psychologique, le poids de l’angoisse de son avenir devient plus lourd encore à porter, ne me laissant plus le choix que de l’observer comme elle est, et non comme j’aimerai qu’elle soit ou comme je voudrais qu’elle évolue.
Cette réalité est dure à accepter, c’est faire face au handicap et vivre avec, sans faux semblants. C’est lâcher, accepter que ce ne soit pas comme j’aimerais, sans renoncer à se battre pour lui apporter la meilleure aide possible. C’est un équilibre subtil à trouver pour que chacun de nous ait sa juste place et que Lou-Ann trouve la sienne.
Ce voyage, y compris dans sa dureté, nous amène à nous révéler à nous mêmes avec davantage de force, au point où il nous dépasse. Cela nous contraint à lâcher, à accepter, à cheminer et faire face aux émotions qui s’expriment par toutes les voies possibles, corps, esprit, conscience.
Pour autant, nous sommes toujours heureux de poursuivre cette aventure, même si elle est inconfortable parfois, difficile aussi et continue à beaucoup nous chambouler. Mais aussi pour tout ce que ces pays nous offrent de beauté, les rencontres, les moments de joie, de plaisir, de sérénité, et ceux qui vous confirment que vous êtes au bon endroit, à votre juste place à l’instant présent.

Nous voyons des paysages superbes, vivons une expérience hors du commun; chaque pays traversé, chaque culture, chaque rencontre nous apprend quelque chose sur nous, nous nourrit, nous enrichit ou simplement nous rappelle la chance que nous avons de vivre cette aventure et de parcourir le monde à notre guise. Même les expériences les plus dures nous donnent l’opportunité de puiser dans nos ressources, d’en découvrir de nouvelles et développer un état d’esprit positif face aux défis rencontrés. Car on se considère comme chanceux.
Voyager sur une période aussi longue, vivre ainsi en liberté ouvre des voies insoupçonnées qu’il est impossible d’explorer dans une routine quotidienne, au sein d’une société conservatrice, figée dans ses principes dits de « normalité » et très formatée.

C’est surtout ce sentiment de joie que nous conservons de ce voyage. La joie d’avoir faire le bon choix. La joie de vivre une expérience d’une grande richesse. La joie de se renouveler. La joie de se dépasser pour trouver des richesses à l’intérieur de chacun de nous, non pour le plaisir de les étaler mais celui de les conserver comme un précieux trésor et le partager.
Notre regard sur la vie, sur la société, notre pays, sur nos propres existences, ce qui est important, sur les relations avec nos amis, nos copains et notre famille, change. Beaucoup même sur certains de ces points, et on ressent quelque chose naître en nous, en chacun de nous.

Je ressens presque de la gratitude envers les plus durs vietnamiens que nous avons rencontré car ils nous ont permis d’avancer, de cheminer et nous ont offert l’opportunité de se renforcer, de s’endurcir et développer notre propre résilience, individuellement et ensemble.
Et de faire face à nos propres démons, nos propres zones d’ombre.
Les repères changent, fortement mais différemment pour chacun de nous. Notre équilibre est encore beaucoup plus précaire et nous avons la conviction que lorsque nous aurons déposé ce qui ne nous appartient plus, nous renaîtrons de nos cendres, comme le Vietnam.
Good Bye Vietnam
Lou-Ann, Magali & Franck
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Notes de Marianne, qui a vécu 6 mois au Vietnam et dont le message nous a éclairé:
« Bonjour, si je peux me permettre… j’ai passé plusieurs mois au Vietnam et en Indonésie en 1998. Le Vietnam a été le premier pays d’Asie que j’ai visité donc une totale découverte et un véritable coup de coeur, l’attachement pour cette « première fois » ne s’est jamais démenti. Mais oui, c’est un pays dur, très dur, comparé aux autres où j’ai pu vivre ensuite (Indonésie) ou découvrir en tant que voyageuse.
Le poids de l’histoire, effectivement. Car le Vietnam a quand même eu la force assez incroyable de résister certes à la France et aux Etats-Unis, mais surtout, et c’est inscrit sur près d’un millénaire de son histoire, à son puissant voisin du Nord, la Chine, qui n’a cessé de vouloir l’envahir, le dominer, sur des siècles – la colonisation française n’est pas grand chose par rapport à cela. L’obstinée résistance vietnamienne face à ce gigantesque envahisseur qu’est la Chine tient quasiment du miracle et explique aussi le fait qu’ils aient gagné la guerre contre les Etats-Unis, même exsangues. Je me rappelle d’une vieille Vietnamienne m’expliquant qu’ils pouvaient la tuer, tuer son fils, le fils de son fils et encore après, sur des générations, elle s’en moquait car au final, les Vietnamiens seraient toujours là, ils avaient l’éternité devant eux pour gagner collectivement – et c’était la seule chose qui comptait, par delà l’addition de millions de sacrifices individuels. Ils ont une capacité à résister dans le temps extraordinaire, j’ai rarement vu l’équivalent ailleurs. Du coup, oui, « l’ADN » de ce peuple, si je peux m’exprimer ainsi est dur, très dur… comment pourrait-il en être autrement ?
Concernant le handicap ce n’est pas tant l’indifférence qu’une certaine habitude face à lui, qui a terriblement endurci les Vietnamiens, hélas… En 1998, je me rappelle dans les rues de Ho Chi Minh Ville beaucoup d’adultes ou de personnages âgées terriblement mutilées se promenaient encore dans les rues (suite de la guerre du Vietnam, du napalm), dans « l’indifférence générale » qui n’était pas une indifférence, mais une sorte d’habitude (terrible) pour eux… Dans les années 70, 80, début des années 90 ce spectacle devait être encore plus courant, en permanence, les traces de la guerre étaient partout, physiquement ancrées dans la chair de milliers de Vietnamiens. Les Vietnamiens d’aujourd’hui ont vu et vécu cela ou même s’ils ne l’ont pas vu ou vécu, ils le portent, ils en sont les héritiers. Ca peut expliquer beaucoup leur attitude. Ils ont été obligés de se vacciner contre l’horreur, les traces de souffrance physique les font peu réagir (du moins en apparence), ils les traitent sans ménagement, quelque part c’est une norme pour eux, ça ne les choque pas. Je revois ces rues grouillantes avec des personnes amputées d’un ou plusieurs membres déambulant au milieu de la circulation, des hommes et des femmes troncs se frayant un passage dans des chariot à roulettes de fortune. Très choquant pour la jeune occidentale que j’étais alors, « normal » pour le Vietnam post guerre…
C’est un peuple marqué par la nécessité de se battre pour sa survie depuis très longtemps, où la douceur n’a pas sa place – même entre eux, les Vietnamiens ne se font pas spécialement de cadeaux, ils ne réservent pas leur dureté aux seuls étrangers. Mais c’est un peuple extrêmement fort et résistant aussi, dynamique, qui ne s’est pas laissé écraser, presque miraculeusement. Les Vietnamiens ont de nombreuses qualités. J’ai travaillé au Vietnam et en Indonésie : les indonésiens étaient bien plus agréables, moins rugueux, mais aussi moins efficaces et au final moins « loyaux » comme partenaires. La confiance se bâtit sur la très longue durée au Vietnam, mais une fois qu’elle est acquise c’est à la vie, à la mort. Ce n’est pas un pays idéal pour y voyager, car le tourisme ne permet pas d’établir ce genre de rapports dans le temps, forcément, donc difficile même impossible d’apprécier les qualités spécifiques aux vietnamiens dans ce contexte.
Bon courage, ça devrait effectivement aller mieux à Hoi An et à Hué. Et ça peut être une expérience très enrichissante, aussi, à condition de ne pas attendre du pays ce qu’il ne peut pas vraiment donner, la douceur, l’apaisement, la bienveillance. Mais il a d’autres choses… L’obstination à survivre et à se redresser, envers et contre tout, notamment. En ce sens, c’est un pays intéressant. Raconter son histoire à Lou-Ann pourrait peut-être lui permettre de mieux comprendre pourquoi il est d’un abord si rude et si peu sympathique ? »